C’est les bras croisés tout contre elle que la pâle scientifique marchait tranquillement, le nez redressé en direction des cieux tandis que ses mirettes claires s’embrumaient petit à petit. Il y avait de ces jours où la soif de connaissance devenait lourde et savait aplatir même le plus futé des cerveaux. Les raisons de cet état près de la mélancolie devait résider dans la solitude dont la vie de la blafarde était composée, toujours à rechercher solutions et compréhensions, plutôt que de se pencher sur l’intérieur de sa composition. Jamais elle n’avait ressenti cet isolement et ce besoin de quelque chose mais, depuis qu’elle avait décidée de faire l’adoption d’un macaque aussi blanc qu’elle, ses émotions étaient à fleur de peau. Cela devait bien faire des heures depuis le début de son excursion, le tout ayant débuté de par son incertitude naissante à pouvoir s’occuper convenablement de ce petit être et se termineraient lorsqu’elle aurait terminé de se poser toutes les questions relatives à ses capacités en tant que mère.

En s’arrêtant progressivement jusqu’à s'immobiliser, Luciole avait courbée son échine au-devant afin de venir défaire les petits lacets de ses chaussons et les avaient enfouis dans sa besace en cuir avant de se redresser. Son manège l’avait amenée près de la mer et, quitte à se promener sur une surface délicate, aussi bien en faire profiter ses orteils. Pendant que son corps s’étirait vers le bas, une petite boule s’était créée au sommet de son épaule gauche, repoussant les pans de sa longue cape dans le but de sortir sa petite tête touffue à l’air frais. Le petit animal au pelage blanc comme neige toisait les alentours des yeux, l’air désintéressé et indifférent.

« Pourquoi cette mine, Caprice? Je t’ai amené en dehors de la cité, les paysages sont bien plus intéressants. Vois-tu là-bas, il s’agit de récifs, et là est l’une des routes menant à Exalos, et là-bas… là-bas……. »

L’incertitude avait pincée les lippes roses de la scientifique alors que le macaque blanc était descendu de son piedestal jusqu’à se pendre à l’un de ses bras en laissant son bas de corps se balancer dans les airs. Le manège n’arrivait pas à détourner l’attention de la blafarde, ses deux iris clairs étaient fixés sur une chose lointaine, une chose que jamais elle n’aurait crue ne serait-ce qu’exister encore. Si elle pouvait recueillir une écaille, du sang, une corne ou bien un croc… Sa langue, même! Dieu seul sait ce qu’elle pourrait faire.

Si plus tôt, une certaine mélancolie avait pris possession de tout son être, la curiosité venait de balayer le tout sans grande difficulté. Les lèvres de Luciole s’étaient étirées tout en douceur, dévoilant le sourire d’un être animée par ce qu’elle voyait au devant, en oubliant presque l’animal qu’elle venait d’adopter…

L’animal…?

« Oh, bout de vierge! Caprice? CAPRICE! »

Le petit corps rondelet du macaque des neiges se dandinait à moyenne vitesse par en avant, se dirigeant du mieux qu’il pouvait en direction de Dragon qui n’en ferait qu’une bouchée, sans difficulté. Si la pâle avait l’habitude d’être d’un calme délicat, il n’en était désormais plus rien - son corps enveloppé dans sa cape verdâtre s’élançait à toute vitesse afin de rattraper ce familier dépourvu de bon sens. Elle s’élançait en sa direction, pour retomber au sol au-dessus de ce singe, l’emprisonnant dans ses bras pendant que son corps roulait en direction de la bête. Une fois son ascension terminée, le macaque résidait bien serré entre ses bras tandis que l’humaine crachait du sable qui s’était immiscé dans sa bouche pendant l’acrobatie. Elle n’avait eue le temps que de redresser ses mirettes céruléennes devant elle pour s'apercevoir de la distance amoindrie entre elle et cette créature dangereuse.

« Deux choix s’offrent à n..nous créature, le premier est intéressant pour moi tandis que le second l’est p…pour vous. Aucun des deux n.. n’est bon pour nous deux, à moins que nous en venions à un terrain.. un terrain d’entente?... »

Ses mots s'extirpant avec difficulté de sa bouche alors que son corps se hissait petit à petit vers l’arrière, se repoussant d’un pied à la fois afin de ne faire aucun mouvement brusque, pendant que Caprice serrait le cou de son humaine à l’aide de ses grand bras, tout aussi apeurée que sa maîtresse.

Ah, les enfants…

L’une des mains pâles de la scientifique était apposée tout contre le dos de son familier apeuré, tandis que le reste de son corps cherchait à se repousser un peu et un peu plus encore. Le manège de la blafarde n’avait pas duré bien longtemps, car l’immense bête avait étiré le cou dans sa direction, brisant aisément la distance entre eux jusqu’à emprisonner ses jambes d’une seule patte. Le regard clair plissé vers le haut, son menton devait se dresser dans l’air alors qu’il s’approchait d’elle en retroussant ses babines, ce qui avait pour réaction de faire frissonner la pâle. Si plus tôt l’ennui l’avait amenée à se sentir un brin morose, il n’en était plus rien. Elle détaillait l’énormité au devant d’elle d’un œil à la fois terrifié et intéressé - jamais il ne lui avait été donné de voir un monstre pareil et d’aussi près. À dire vrai, jamais il ne lui avait été donné de penser qu’il y en avait toujours à se balader ci-bas.

La blafarde avait secouer vivement la tête afin de sortir de ses rêveries, il y avait des choses nettement plus importantes que ces réflexions à l’heure actuelle. Lorsqu’elle s’était autorisée à revenir au moment présent, son cœur avait serré sa poitrine d’un coup pendant que son échine était raide comme une barre - venait-il de parler?

Une grimace étire douloureusement les traits de la scientifique sous le poids de l’une de ses grosses pattes tranchantes, qui l’oblige à rester figée afin de ne pas s’inciser sous un faux mouvement. Figée et stupéfaite par la bête qui semble à deux pensées de la dévorer, l’opaline ne pouvait que l’écouter déblatérer ses paroles, forçant par la même occasion son visage à ne pas sourciller ou bien trahir la perplexité qui s'immisçait dans son cerveau. À chacune de ses paroles grognées, le macaque semblait se raidir davantage, tremblotant de tout son corps en cherchant à se faufiler sous le plus de plis de tissu possible dans le but de masquer sa présence au maximum. Lorsqu’il s’était hissé dans son dos avec les pattes enroulées sur le cou de sa maitresse, le corps de Luciole s’était agité un brin, ce qui avait eu comme résultat de déchirer le tissu pâle de sa cuisse, y filant une entaille couleur sang.

« Très bien…»

Avait-elle murmuré dans un souffle sous le jeu auquel l’ailé désirait débuter, s’ils devaient s’affronter par les mots, peut-être réussirait-elle à s’en sortir vivante. Son habileté sociale inexistante toutefois, allait fortement jouer en sa défaveur. En prenant une grande inspiration profonde, la belle fixait l’énormité devant elle avec cette même lueur de fascination mélangée à une terreur qui lui dressait chaque poil sur le corps. Elle étudiait ce qui lui était permis de fixer - dentition, langue, haleine, yeux, corps, griffes… Jusqu’à ces dernières paroles, un gamin criait dans sa tête.

Une fois encore, la blafarde n’avait pas autorisée son visage à se mouvoir, gardant son sourcillement pour plus tard, quand sa vie et celle de son enfant ne seraient plus en danger. Elle s’était alors mis à fixer les yeux du dragon pendant un instant seulement, cherchant peut-être un moyen quelconque de rentrer en contact avec ce gamin, celui qui criait en dedans.

« Si je n’ai droit qu’à une seule raison afin de vous enlever l’envie de me déchiqueter sur place… Je miserais sur la qualité de ma viande. À votre majestueuse grandeur, vous devez voir sans difficulté toute l’étendue de mes blessures, lacérations et de ma peau contaminée.. Je ne vous parle pas de ce qui se trouve en dessous de ma peau décomposée… ça risquerait de vous rendre malade.»

Sa lèvre s’était fortement pincée à la suite de ses paroles, incertaine si son plaidoyer serait suffisant afin de ne pas finir ses jours sur ce sable brûlant. Si certains lui avaient vanté le fait de devenir mère, Luciole commençait à douter - avoir Caprice commençait très mal. Sous une impulsion désireuse de continuer à vivre, elle s’échappait à nouveau. « En revanche, je pourrais vous préparer un plat qui vous satisferait bien plus que nous, je vous assure. »

À chaque mouvement de la bête, la blafarde semblait sentir son heure arriver. Quand il relevait sa gueule vers le ciel, elle voyait déjà les flammes déferler sur elle et lorsqu’il se tassait sur le côté, elle aurait pu jurer déjà ressentir le coup de patte lui trancher le corps. En dépit de ces images, la scientifique se tenait toujours assise devant cette immense créature et son cœur n’avait pas encore cessé de battre - ni celui de son macaque indifférent d’ailleurs. Le plus déconcertant était sans contredit la voix de cette bête. Jamais Luciole n’aurait cru assister à un tel spectacle et la fascination revenait au galop à chaque fois ou la peur se calmait le moindrement - comment faisait-il donc pour réussir à avoir une diction aussi bonne, quel genre de larynx pouvait donc se cacher derrière la gueule de cette chose et en plus de tout ça, usait-il de métaphore lorsqu’il avait été question de parler d’un être qui lui criait dans la tête ou y avait-il une personne prisonnière quelque part dans son corps? Les questions se multipliaient dans la tête de la blanche, tellement qu’elle en oubliait d’écouter les mots du dragon.

Elle avait dégluti un peu, incertaine d’avoir compris chacune des paroles et la peur de vexer l’énormité en lui demandant de répéter l’amenait encore plus près des images de mort. Il lui fallait peut-être utiliser la persuasion, elle qui en était pourtant maître, elle n’en faisait pas grand usage en ce moment.

Alors qu’elle cherchait à se remémorer les paroles dites par le lézard géant, un gémissement plaintif avait poussé sur ses lèvres lorsque la pression sur sa cuisse s’était retirée. Un soupire voulait traverser ses lippes, mais elle s'obligeait à ne rien en faire, toujours dans le doute de pouvoir froisser la bête d’une quelconque façon. Au moment où il s’était déplacé afin de se poser confortablement, la scientifique en avait profité pour appuyer une main sur le haut de sa cuisse. Elle cherchait ainsi à diminuer le déversement sanguin et d’arrêter progressivement le saignement, pendant que son autre main avait extirpé un petit tissu pour venir le placer sur la plaie ouverte afin d’empêcher quelconque contamination.

Après s’être fait un petit garrot à la cuisse, les bras de la demoiselle s’étaient croisés tout contre sa poitrine, fixant devant elle un long moment d’un air pensif - que pouvait-elle bien lui dire et faire, qui l’empêcherait de la déchiqueter sur place… Les saveurs devaient être incroyables, de cette façon il en oublierait peut-être sa consistance à elle ainsi qu’à son macaque. Ce dragon avait de la suite dans les idées, car ses paroles concernant la perfidie des humains n’étaient pas fausses, pas une seconde. Il était vrai qu’avoir eu un poison, un paralysant ou tout autre sous la main, sa première idée aurait été d’en faire usage… Quelles bêtes, ces humains !

« Parce que vous ne le regretterez pas, hum.. Monsieur le dragon? La confiance se gagne, aussi, je ne vous insulterai pas en vous donnant des raisons avec rien pour vous y baser…Je ne vous demanderai pas non plus de me faire confiance, c’est très volatile comme concepte en plus de n’être que des mots - non, en revanche, je vais vous concocter quelque chose sous vos yeux. De cette façon, vous n’aurez pas d’inquiétude, non pas que je vous crois inquiet… Du tout! Mais, ce sera plus simple ainsi ne croyez-vous pas? »

L’idée de lui trouver un surnom lui avait effleuré la tête mais, à chacune de ses paroles, elle comprenait que ses tournures de phrases semblaient l’insulter un brin. Aussi bien faire court et précis, qu'elle se disait. Dans la mesure du possible, car la scientifique n’était pas reconnue pour être concise dans ses paroles… Cela étant dit, elle avait de la nourriture à préparer pour ne pas crever, c’est donc sur ce regain d’énergie que la blafarde s’était redressée pour venir s’agenouiller en face du dragon. À l’aide de ses petites mains blanches, elle s’affairait à creuser un trou dans le sable, repoussant les tas à côté jusqu’à atteindre une profondeur acceptable. Les idées de plats se succédaient dans sa tête, une cuisson lente dans le sol fait ressortir des saveurs excellentes mais, la quantité de viande qu’un dragon de sa taille pouvait manger devait être phénoménale - ses rations n’allaient pas être assez pour qu’il soit repus et pêcher pour un tel festin lui prendrait la semaine, au moins. Ainsi, il fallait miser sur les saveurs et la conteneur afin de donner une impression de bourrage, le tout sans manger un village entier.

Toujours face à l’énorme chose, car elle s’interdisait à lui tourner le dos, la pâle s’affairait désormais à sortir des paquets de son sac pendant que son macaque frissonnait toujours sous les pans de sa cape. Un paquet de branches d'érable avaient été posés dans le fond du trou et allumés à l’aide d’une friction rapide entre deux roches. Trois petites bourses remplis d’un liquide avaient été posés dans le trou par la suite, revigorant le feu aussitôt qu’ils avaient touchés les flammes.

« C’est une bonne chose de faites! » s’était-elle exclamée une fois le trou fumant. Pendant ce temps, la jeune femme s’était affairée à défaire de nombreux sac contenant poissons, viandes et autres délicatesses prévues au repas de ce soir et débutait la préparation d’un repas ‘’gastronomique’’ pour le dragon. Épices, légumes, viande, poisson, lentilles.. Tout s’était mélangé avant d’être enveloppée dans de grandes feuilles épaisses. Tout était en place, il ne restait désormais qu’à attendre que les braises se multiplient.

Pendant le temps de préparation, Luciole en avait presque oublié la terreur cachée non-loin d’elle, élevant la voix dans une conversation remplie de curiosité et de respect. Elle n’était pas reconnue pour rester silencieuse, un dragon ne la changerait -malheureusement- pas.

« Vous savez, les hommes ont mauvaise réputation pour bien des choses, on leur reprochera pillages, torture, enlèvement et j’en passe. » Du bout d’une branche, elle remuait tranquillement le feu dans le fond du trou alors que son visage se fronçait un brin à ses paroles. « L’idéal est difficile à atteindre lorsque nous n’avons pas de grandes ailes pour se déplacer d’un continent à un autre, ou bien des pouvoirs magiques qui peuvent contrôler les éléments à notre guise. Il est difficile de se sentir égale, ou bien simplement repus tel qu’après un bon repas, lorsque notre race est la fourmis des créatures - et encore, si au moins les humains travaillaient aussi bien ensemble que les fourmis! L’orgueil, l’avarice, la colère, l’envie, la paresse et la gourmandise - on les appellent les pêchers mais, en réalité, ils sont tout simplement les mobiles permettant de commettre tout crime. Et un mobile, ça ne s’arrête pas simplement à une race, vous savez? »

Si le repas n’allait pas faire tuer la blanche, peut-être que ses mots eux, si. La prestance, la grandeur et l’intérêt envers le dragon qu’elle avait, scientifiquement parlant, créait une certaine aisance à désirer discuter avec lui des choses qu’il avait lancé plus tôt. Il avait de la raison et du ressentis, elle le sentait mais, pendant que le repas cuisait… Aussi bien tenter d’apprendre un peu plus de cet être avant de mourir - ce serait une belle mort, au moins. Le temps passait alors qu’ils étaient tous deux sur la plage, le ciel changeait tranquillement de couleur au fil des moments et, la braise était prête à accueillir le repas coincé dans des grandes feuilles végétales. En prenant une pause de son monologue, la scientifique avait posé le gros paquet dans le trou sur la braise écarlate, en poussant les tas de sable qui avaient été laissés tout autour, dans le trou afin de le couvrir. Il ne restait désormais plus qu’à attendre!

« Lorsque nous sommes insignifiants, disais-je donc… Les mobiles sont à portée de main plus facilement car ils nous permettent de devenir quelqu’un de reconnu, alors que si on vous prend comme exemple, vous n’avez pas même besoin d’user de gourmandise sur moi afin d’être craint. Votre personne à elle seule se charge du travail. Les humains sont perfides car la jalousie d’être à votre hauteur ne serait-ce qu’un centime seulement, est impossible si nous n’usons pas de notre tête. Une fois qu’ils ont compris qu’en usant de leurs méninges, ils pouvaient se rapprocher un brin du génial, alors là, c’est une autre histoire… Qui m’amène donc à être en accord avec vous, vous savez? »

Après un énième monologue, la blafarde avait appuyé son menton dans la paume de sa main tandis que son coude reposait sur la cuisse sans blessure, analysant le dragon de long en large, toujours un peu plus fascinée encore.

« Est-ce que vous mangez votre viande saignante, bien cuite? Avec ce fascinant larynx.. Je me demande, hm? » Les yeux brillant d'intérêt, elle avait étiré un petit sourire en direction de la bête, curieusement.