L'air me paraît lourd. Je ne saurai dire si c'est à cause de la brume qui recouvre les terres. La purée de pois empêche de voir à dix mètres et rend facilement les choses surréalistes. Les volutes blanchâtres accaparent mon attention. Berfell m'avait manqué. Avant la fin, les dernières choses que mes yeux ont pu côtoyer étaient la terre dévastée de Vierris. Mes mains effleurent la mousse sur la pierre plate où je suis perché, comme pour me rappeler que je ne suis pas dans cet endroit maudit.
" Je me demande ce que vous vivez, mes amis. "
La solitude referme ses doigts froids sur moi. Cette vie manque franchement de piquant. Il y a bien ce gamin que j'ai rencontré qui m'a permis d'honorer ma promesse à Lièvre. Ceci dit, cela reviendrait à mentir que de dire qu'ils ne me manquent pas. Ils ont une place importante dans mon esprit. Des souvenirs irremplaçables, impossibles à inventer ou falsifier, aussi frais qu'ils sont perdus dans le temps. Une notion qu'il est dur de garder. C'est peut-être pour ça qu'on faisait des fêtes d'anniversaire de façon aléatoire.
Une belle excuse pour chanter des chansons en étant alcoolisé et en mangeant du gâteau. On améliore notre quotidien comme on peut, c'est vrai. Je gratte quelques notes distraitement après m'être redressé. Fredonnant doucement une mélodie que je connais bien. Après quelques minutes à tenter en vain de me motiver à chanter, échauffer ma voix. J'abandonne, je n'ai pas le cœur à changer à pleins poumons ce matin. Pourtant, la nuit à la belle était agréable.
Enfin, c'est toujours le même problème avec ce genre de nuit. On se retrouve rongé par la solitude lorsque vient le matin. Les souvenirs, trop détaillés, trop parfaits, nous donnent l'impression, lorsque l'on ouvre les yeux, que tout le monde est parti sans nous. Qu'on a été abandonné comme une merde derrière.
Je me sens misérable. D'un côté, j'ai envie de les rejoindre. Je n'espère plus un jour avoir le salut de mourir proprement. Qu'est-ce que mourir proprement ? Sur le champ de bataille ? Non. C'est une belle mort ça. Mourir et ne jamais revenir, je sais que l'esprit peut me refaire cette blague autant de fois qu'il le souhaite. Cette foutue entité à des pouvoirs qui dépassent l'entendement. Beaucoup le voit comme une bénédiction...
En observant mes paires d'ailes imposantes, j'imagine que certains m'envient... S'ils savaient le poids que pèse ses foutus tas de plumes ! Ils y repenseraient à deux fois avant d'envier les anges et les séraphins. Je m'éloigne de la pierre en me levant, laissant mes affaires derrière moi pour glisser mes mains dans l'eau. Venant me rafraîchir le visage vigoureusement pour me remettre les idées en place. Il n'est pas l'heure aux doutes et aux remises en question.
En un léger reniflement, Melyne leva la tête pour analyser les centaines d’odeurs dans la nature. Les feuilles, les insectes qui rôdaient autour d’elle, les odeurs qui lui étaient encore inconnues… Elle arrivait à reconnaître une bonne partie d’entre elles. La voici qui était donc en train de vagabonder entre les arbres, esquivant les buissons, sautant sur les troncs renversés, les pierres plus hautes que les autres pour avoir un certain repère. Combien de temps n’avait-elle pas apprécié cette sensation de liberté ? Être coincée dans une ville était devenu trop étouffant. La renarde avait donc décidé de partir de nouveau à l’aventure, et bien entendu sous sa forme humaine alors qu’elle se sentait bien plus à l’aise sous la forme de ce petit animal. Peut-être un peu trop ? Ah… Les effets de la corruption finiront bien par la rattraper à un moment donné.
Soudain, une odeur étrangère. Comme si elle n’avait rien à faire ici. Ou du moins, elle n’y était pas avant. Son odorat bien affiné lui permettait de repérer la direction dont cette mystérieuse odeur venait. Elle n’arrivait pas encore à dire si elle était loin ou pas et puis la curiosité finit par prendre le dessus sur sa bonne conscience. Au diable la voix de la raison, l’odeur l’intriguait beaucoup trop. Encore une fois… Melyne se fichait du danger et des risques de ce qu’elle pourrait découvrir. Qui sait, peut-être une personne perdue ? Un animal encore inconnu pour elle ? Le bruit de l’eau qui courrait venait se mélanger au chant des arbres. La renarde s’était arrêtée pendant un instant en penchant la tête sur le côté. C’était tout proche. Avant qu’elle n’entre dans ce domaine devenu mystérieux, elle avait de nouveau pris forme humaine. Elle avait dû serrer les dents pour ne pas laisser un seul petit grognement de douleur glisser entre ses lèvres et se faire repérer. La filature était devenue sa spécialité.
Après avoir repris son souffle, elle expira un bon coup toujours dans un calme absolu, décidant de lever le pas pour avancer de nouveau et poursuivre sa route vers son nouvel objectif qui se trouvait à quelques mètres.
La voilà devant une petite étendue d’eau, l’image qu’elle avait en face d’elle lui coupa presque le souffle. Elle qui pensait avoir tout vu au bout de ses trois cents ans de vie, il faut croire que la vie lui réservait des surprises plus qu’intéressantes. Son regard ne s’était pas intéressé en premier lieu à la personne qui possédait cette paire d’ailes. Melyne regardait les motifs et les couleurs de ses plumes. Une palette magnifique. De toute manière ce n’était pas comme si elle pouvait voir grand-chose. Elles avaient une certaine harmonie qui lui plaisait beaucoup.
Doucement et très lentement, elle s’approchait d’une des ailes. Elle tendit même la main, mourant d’envie de les toucher. Est-ce que c’était comme les ailes d’un poulet ? Ou alors aussi douces que celles d’un perroquet ? Ce n’était que lorsqu’elle posa le doigt dessus que les yeux de la rousse s’écarquillèrent de surprise, ou alors peut-être qu’elle avait des étoiles pleins les prunelles… Elle ne saurait dire.
« Waaaah… Je pensais pas que ce serait aussi plaisant à toucher… » Fit-elle avant d’y mettre la paume de sa main complètement dessus, sans se soucier de la moindre réaction de l’inconnu.
Evidemment, elle était prête à reculer en cas d’attaque ou de comportement plus que suspicieux. Et si c’était un piège dans lequel elle avait foncé tête baissée ? Ce n’était que très tard qu’elle avait remis en question ses choix d’approches. Elle aurait dû mieux le regarder, mieux analyser l’environnement autour. Et si un filet allait bondir sur Melyne ? Quelqu’un aurait pu la voir sous sa forme de renard blanc et avait traficoter une technique pour l’appâter ?
Les idées remises en place par l'eau fraîche. Je relève les yeux vers le ciel, une nouvelle journée fort merdique. Aussi merdique que la précédente et surement aussi passionnante que le sera le lendemain. J'aurais pu m'intéresser à mon environnement, chercher un truc intéressant, mais au final, quel intérêt ? Je fais que vivre pour vivre. Les cauchemars qui me poursuivent sans relâche, me rappelant dès que je clos les paupières tous ces démons que j'essaie en vain d'enfouir au plus profond de mon être.
On fini toujours prisonnier de ses souvenirs, prisonnier d'un cycle que l'on veut changer. Une spirale infernale qui nous entraîne dans une danse endiab-- QUI TOUCHE MES AILES. Je tourne la tête et j'observe cette femme, interdis. Elle a conscience que... Je sais pas ? Je suis genre, pas une peluche ? Je me pince l'arrête du nez avec un soupir.
" Il paraît, que quand on est poli... On demande avant de toucher quelque chose qui appartient à quelqu'un. Encore plus quand ces dites choses font partie intégrante de leur corps. "
Un air blasé placardé sur mon visage, je ramène mes ailes bleues dans mon dos. Elle a l'air inoffensive, mais je préfère me méfier. Les gens sont tellement fous dans ce monde finalement. Quelqu'un qu'on enverrait pour s'assurer que mon enveloppe corporelle est bien morte ? Ou une personne de Sapheris chargée de me surveiller ? Dans ce cas... Pourquoi avoir brisé la filature. Je ne peux nier qu'un nouveau mystère est apparu. Ce sont peut-être les prémices un truc intéressant dans ma journée ?
" Si tu voulais me prendre par surprise, c'est réussi. Après, caresser des ailes ne fait pas des dégâts suffisant pour me mettre à terre, tu sais ? "
Assumer direct qu'elle pourrait être une assassine peut être vu comme un manque d'élégance de ma part, cependant, je dois admettre que j'en ai vraiment rien à foutre. En plus, si l'hypothèse se révélait vrai, ça serait absolument la pire d'entre eux que j'ai croisé, réellement le niveau zéro de l'assassinat.
Sa main avait instantanément reculé en voyant ses ailes se rétracter derrière lui. Elle ne put s’empêcher de laisser un petit ‘hmpf’ de mécontentement filer en gonflant une de ses joues pour exprimer son mécontentement. C’est vrai quoi, imaginez on vous retire votre cadeau d’anniversaire sous prétexte que ce n’était pas poli. Avec le temps, Melyne avait oublié la notion de politesse quand il le fallait. Il lui fallait juste un petit coup de main pour lui rappeler que ça existait.
« Ah euh… Oui c’est vrai, c’est ce que font les gens ennuyeux et qui se ressemblent tous. Ils saluent, laisse le temps à la personne de réagir de manière classique… Alors que les surprises c'est plus... Surprenant !» Fit-elle alors qu’elle s’était redressée, regardant l’environs avant de tendre les bras vers le ciel pour s’étirer un peu.
Elle rabaissa son regard vers l’inconnu, prenant le temps de le détailler plus minutieusement. Il avait beau avoir l’air blasé, peut-être même irrité par sa présence, il avait un charme qui plaisait beaucoup à Mel’. N’importe qui aurait tiré la gueule pour avoir été interrompu dans son petit moment de détente, il aurait même pu lui crier dessus ou l’insulter pour un rien. Et pourtant la situation amusait la renarde. Elle l’observait sans dire un mot pendant qu’il parlait. Des dégâts ? Pourquoi voudrait-elle lui infliger des dégâts ?
« Sache que si je voulais te blesser… » Murmurait-elle avant de se glisser de nouveau derrière lui pour approcher sa petite main doucement le crâne du rouquin pour venir prendre une mèche de sa chevelure et la glisser entre ses doigts pour jouer avec, rapprochant ses lèvres proches de son oreille pour murmurer. « … Je t’aurais arraché les plumes une par une, ou alors j’aurais essayé de t’assommer pour te torturer ensuite pour découper tes ailes... Les femmes comme moi peuvent être très dangereuses. » La renarde avait un air à moitié sérieux, se retenant d'exploser de rire à sa propre comédiel, laissant un petit silence planner, sans savoir si elle paraissait crédible ou non. «Je plaisante ! Je suis pas sadique, et j’ai aucun intérêt à faire du mal à quelqu'un. Et quand bien même je n’ai pas envie de me salir pour une telle chose. Le sang c’est très dur à faire partir sur des vêtements blancs. Allez on se détend un peu ! Tu es trop sérieux ! »
Elle finit par lâcher la bouclette avant de faire glisser sa main le long de son épaule, l’effleurant du bout de son ongle avant de donner une petite tape dans son dos. Il n’y avait absolument rien d’agressif, c’était peut-être même un geste tendre. Melyne plissait ses yeux remplis de malice même si on pouvait y percevoir un petit air joueur. Elle était tombée face à un curieux personnage et ça l’amusait énormément. La rousse était loin d’être une tueuse de sang-froid et pleine d’assurance. La seule chose dont elle était capable c’était de se battre en retour, si et seulement si, elle n’avait aucune échappatoire. Continuant de l’observer de haut en bas, elle ne put s'empêcher de se rapprocher de son visage pendant deux petites secondes pour analyser la couleur de ses prunelles, alors que sa chevelure rose glissait en cascade au dessus de ses épaules. Oui, c’était un très beau minois.
La ‘jeune’ femme s’était un peu reculée pour s’assoir à quelques pas plus loin, afin de reprendre une distance raisonnable tout en fixant l’étranger avec un petit sourire du coin de la lèvre, soutenant son menton avec sa main, le coude reposant sur sa cuisse.
« Bon dis-moi… Qu’est-ce que tu fais dans un endroit pareil ? Une petite visite ? Changement d’air ? Ou bien… A la recherche de quelque chose ou même quelqu’un ? » Melyne allait droit au but. Après tout elle était ici pour assouvir sa curiosité, pas question de s’orienter sur autre chose. N'est-ce pas ?
J'arque un sourcil. Cette demoiselle à la chevelure rose est un bien curieux personnage. Alors qu'elle se glisse dans mon dos, j'étire mes ailes, un petit gloussement venant se glisser dans ma gorge. Sa voix me chatouille l'oreille et ses mots me chatouillent l'esprit. Je bascule la tête en riant. Adorable petite créature.
" En effet, le sang, ça tâche. Un véritable enfer à nettoyer. "
Si elle avait essayé de me faire peur, sa voix était loin d'être des plus menaçantes ou effrayantes que j'ai entendu. Je m'époussette en me relevant, repliant mes ailes pour pivoter dans sa direction. Ouh. Trop proche. Tu es trop proche mademoiselle. Les choses vont un peu vite. Je sais que je suis charmant, mais quand même. La teinte de ses cheveux est très intrigante, sauf que contrairement à elle, je n'ai pas assez de confiance pour toucher quelqu'un sans autorisation.
On apprend vite que si on touche ce que l'on est pas invité à tâter, on y perd des doigts, à mesure que notre vie s'allonge les mœurs changent. On peut voir mon pouvoir comme un jeu, je fais une erreur, j'ai la mauvaise fin du jeu… On efface tout et on recommence. Je m'étire tout entier, mon envergure se déployant vers le ciel dans un même temps, le tour dans un bâillement de fatigue mêlé à un certain ennui. Je rejoins la pierre plate où sont mes affaires pour y prendre une gourde, j'arrose mon gosier de flotte sans répondre à cette dame en rose.
Ce que je fais ici ? La réponse courte et honnête serait ' rien ' mais bon, je ne peux pas me permettre de répondre ça. Ce serait étrange de s'être arrêté ici, non ? Je ne sais même pas ce que je peux faire d'intéressant dans ce monde. Maintenant que mes compagnons d'infortune ne sont plus... Comment pourrais-je être entier à nouveau ? Je pourrais être extrêmement direct aussi.
" Il y a des milliers de réponses à cette question. Quelqu'un ? Non, je ne crois pas. Plus personne ne m'attend en ce monde. La mort peut-être ? Ouais, sûrement qu'elle m'attend, au moins elle, ah ha. " Je marque un petit temps d'arrêt et je lui jette un coup d'œil, amusé. " Je cherche l'inspiration, c'est un lieu propice à la création. "
Un demi-mensonge empli de bien des vérités. À la fin, je ne sais pas moi-même ce que je veux donc, à quoi bon se prendre la tête ? Je prends alors une position similaire à la sienne, croisant mes jambes en tailleurs.
Le rapprochement assez soudain ne lui avait pas échappé et pendant cette courte période, elle avait eu le temps d’analyser la couleur de ses yeux, les quelques petites mèches rebelles qui étaient sur son visage. Vous allez vite en besogne très cher, ne pensez pas que Melyne est une proie facile. Elle le regardait partir de désaltérer du coin de l’oeil sans bouger d’un pas. Elle gardait toujours son petit sourire narquois, le laissant agir tranquillement sans l’interrompre dans sa phrase.
En soit, Melyne attendait la même chose. La mort. Après tout, elle avait encore quelques centaines d’années devant elle si elle ne se mettait pas en danger. Qu’est-ce qu’on s’ennuie à force. Tout ça pour respecter une promesse qui sera sûrement impossible à achever même avec tout le temps qui lui était donné. C’était assez étrange de se dire que son corps ne connaîtra le repos que lorsqu’un millénaire se sera écoulé. Voyager c’était bien, mais à quel prix ? Elle avait l’impression que tout se ressemblait. Il n’y avait que les terres et l’environnement qui pouvait lui couper le souffle et pourtant le monde change constamment. A quoi pensait-elle ? Ce n’était pas le moment de se perdre dans des pensées mélancoliques.
« La mort hein… Peut-être que moi aussi d’une certaine manière. » Elle marqua une courte pause, redressant son regard sur la flotte qui réfléchissait son reflet bien qu’il était perturbé par les petites vagues de l’eau. « Mais qui n’attend pas la mort finalement ? Ça reste un passage obligatoire de la vie. » Tendant la main vers son reflet, elle finit par donner un petit coup dedans avant de se relever, haussant les épaules pour venir ensuite glisser une de ses mains dans sa chevelure.
De l’inspiration hein ? Melyne se demandait quel genre de créations cherchait-il à créer. Une peinture ? Une mélodie ? Un texte ? La curiosité de la renarde venait d’être piquée de nouveau, la faisant pivoter vers le rouquin qui venait à son tour lui retourner la question. Ce qu’elle faisait ici… Melyne ne le savait pas vraiment. Après tout, elle n’était qu’une simple petite voyageuse qui aimait se faire du mal pour se transformer en renard à trois queues avec un petit penchant pour la médecine.
« Rien de spécial. Je voyage pour faire passer le temps, et je me suis retrouvée ici. » La rose avait glissé ses mains derrière son dos, respirant l’air frais qui venait effleurer la peau de son visage clair alors que le vent commençait à se lève. « Cela dit, je ne m’attendais pas à tomber sur un étranger avec de belles ailes. » Avait-elle sorti avant de lâcher un petit sourire accompagné d’un doux rire.
Encore une fois, elle s’était avancée vers lui avec confiance mais toujours avec méfiance. Elle regardait autour d’elle pendant qu’elle marchait d’un pas lent, afin de bien analyser l’environnement qui l’entourait. Prendre la confiance trop rapidement lui avait pas mal porté préjudice. Qui sait de quoi il pouvait être capable… Et pourtant ça n’empêchait pas son envie de vouloir en savoir plus de se manifester. Après tout, c’était bien pour ça que Melyne était là. Une fois devant lui, toujours à deux ou trois pas en guise de distance de sécurité, elle s’était penchée vers lui doucement.
Un passage obligatoire… Oui… La toute première fois, c'est ce que je me suis dit… Combien de fois suis-je mort déjà ? Je crois que j'ai arrêté de compter ! Elle est mignonne la petite dame. En tout cas, elle prend assurément soin de sa chevelure. Au clapotis de l'eau, je ne peux m'empêcher de rigoler.
" La véritable mort n'est-elle pas celle de n'avoir jamais existé ? On subsiste toujours quelque part. Pouvons-nous vraiment mourir ? Être oubliés ? "
Et ne jamais renaître ? Je gardais la fin de ma tirade pour moi. J'observe ses prunelles azurées, intrigué. Une voyageuse ? Je ne suis pas habitué aux gens qui voyagent… Aussi léger ? Ils ont souvent un sac avec des vivres, un couchage… Quelque chose. Un étranger avec de belles ailes. Je fais mine de prendre une pose victorieuse en déployant mes ailes.
" T'as vu ça ! Je suis un séraphin ! Je sais, j'ai pas le comportement qui va avec, mais ça, c'est un détail ! " Je lui fais des doigts pistolets. " Je suis génial t'as vu ? "
En voyant sa façon de regarder autour d'elle. Je lui fais signe de s'approcher.
" En vrai, si tu as peur d'être en danger, tu devrais pas rester aussi loin, j'ai pas d'arme sur moi, à moins que je décide de sacrifier ma guitare pour t'assommer. " Je tapote mon précieux instrument en reprenant. " En fait, l'inspiration, c'est pour jouer. Je me produis dans les tavernes à l'occasion. Je compose mes musiques et j'essaie d'être connu pour mes mélodies… Bon j'ai pas vraiment de succès ah ha… Même si les poivrots me jettent quelques Krakens d'or ! "
Quand ils me jettent pas autre chose. Genre des bouteilles de gnôle qu'ils viennent juste d'acheter… Non pas que ça me déplaise, mais je préfère quand même avoir du blé. Il faudra que je me débrouille pour retourner sur Casfair, j'ai de la chance que le type qui possédait ce corps ait fait des réserves de Phanlios séché, je sais pas ce qu'il s'apprêtait à faire, mais c'est franchement super bon, c'était un gars bien. Au lieu de ça, il y a moi, le connard, qui a pris son corps. Sacré revirement de situation.
" Tu m'en veux pas d'être comme les autres séraphins hein ? Genre… Ultra prout prout qui te regarde comme si tu devais cirer ses pompes avec ta langue. Tout ça... Ouais, je sais, ça vend tellement du rêve, je suis sûr que tu es déçue ! "
Je suis plutôt fanfaron aujourd'hui. J'aime bien ironiser sur ma condition de séraphin. Sans déconner, un séraphin qui se promène pas en fixant le monde comme si c'était de la merde et qui vole comme un pigeon bourré ! Enfin ça... Elle le sait pas encore ! Et il vaut peut-être mieux pas qu'elle le sache. La honte.
Il fallait le dire, c’était un personnage très amusant ! Bien plus que les dernières personnes qui ont pu croiser le chemin de la ‘jeune’ femme. C’était rafraîchissant d’une certaine manière. Elle avait gloussé en le voyant déployer ses ailes fièrement. Elle n’aurait jamais cru voir un Séraphin qui accepterait… Se mélanger à la plèbe on va dire. Elle en profitait pour bien détailler la palette de couleur de ses ailes. Décidément, elle était comme fascinée. Melyne trouvait la situation très amusante et avait même posé sa main dont les ongles étaient assez longs et bien manucurés devant ses lèvres pour camoufler un énième petit rire.
« Génial… Va savoir. Mais ridicule et amusant peut-être ! » Disait-elle avant de ranger sa main derrière elle. Il ne fallait pas qu’il croit que Melyne était une femme trop facile à attraper avec un simple filet. « Un séraphin donc. Je m’attendais à une meilleure arme pour vouloir me trancher la tête ! » La rose avait plissé ses yeux en l’écoutant, l’assurant qu’elle ne risquait rien pour l’instant. De simples mots n’allaient pas faire partir sa méfiance, mais sa confiance prenait le dessus et ses pas la guider vers lui pour se rapprocher un peu plus de rouquin. « Tu es donc une sorte de barde ? Si tu prétends bien chanter, je demande à voir ! » Provoqua-t-elle avec son éternel brin de malice dans ses yeux.
Oui, c’était une petite provocation gratuite mais que voulez-vous ? Melyne adorait ce genre jeu. Jouer la carte de la provocation pour voir si les personnes qu’elle croise avaient assez de courage. Souvent, ça tournait au vinaigre. Et le nombre de fois où la renarde n’a jamais eu à assumer les conséquences est trop grand. Et oui, Mel’ est le genre de personne qui fait preuve d’une grande lâcheté lorsqu’il s’agit de se retrouver confrontée face au résultat d’une de ses conneries. Le sourire de la demoiselle ne faisait que s’agrandir en écoutant le séraphin se moquer de ses propres congénères. Il est vrai que lorsqu’elle y réfléchit, elle a entendu parler de ces créatures comme hautains, narquois et qui pensent qu’ils méritent le traitement d’un dieu de la part de ceux qui vivent les pieds sur la terre. Jusqu’alors, elle n’a jamais eu l’occasion de s’y frotter.
« Oh non ! Que je suis déçue ! Comment vais-je faire si je ne peux pas me comporter comme un esclave face à un euh… Bah humm… ça ! Cette euh.. Grandeur pas trop, maintenant que j'y réfléchis. » S’exclamait-elle tout en tendant les bras vers lui pour le désigner, son petit sourire espiègle plaqué au visage. Elle s’amusait, et voulait voir jusqu’où était la limite avant le danger.
Comme il l’avait invitée à le rejoindre, la renarde s’était glissée derrière lui sans aucune gêne pour croiser ses bras au-dessus de sa belle tête rousse, venant coincer une de ses mèches rebelles entre ses doigts comme elle l’avait fait plus tôt. Mine de rien, ils étaient soyeux. Elle qui pensait que ce n’était que des épis tout fourchus.
« Et laisse ma langue en dehors de tout ça. Allez chante-moi une belle mélodie tiens, montre-moi tes talents et de quoi tu peux être capable. »
Ridicule et amusant ? Ah. Ouh. Woah. Argh… Je suis blessé dans le plus profond de mon petit cœur ! Je feins la douleur immense de me cause un tel manquement à ma génialissime personne. Je m'amuse, le comportement de cette renarde, je le trouve fort intéressant. Elle n'est pas réservée ni timide. Elle me rappelle quelqu'un. Ah oui. Paon. Même si c'est le premier à avoir été supprimé, coupé de la magie, même corrompu par la magie, il était jovial et énergique, offrant à notre groupe une joie de vivre qui s'est un peu tarie sans lui.
Que de bons moments en tête. Un barde ? Vient-elle de temps anciens comme moi ? Bientôt, elle va me dire que je suis un troubadour ou un fou du roi et cela ne m'étonnerait même pas ! Je ricane légèrement.
" On utilise encore le mot barde de nos jours ? Mademoiselle, seriez-vous bien plus vieille que votre apparence juvénile le laisse suggérer ou est-ce un abus de langage ? "
Le vouvoiement n'était là qu'un ressort comique couplé à mon ton taquin. Je riais légèrement, elle peut bien avoir des siècles ou avoir un abus de langage, cela n'a que peu d'importance. Je la regarde amusé, le nez légèrement froncé.
" Tu serais une esclave hors de prix même pour les emplumés prout prout. "
Elle se faufile derrière moi et se pose littéralement, elle me demande de chanter donc ? Je réfléchis et finalement, je commence à gratter les cordes de ma guitare. D'abord timidement, je fredonne quelques notes, une fois que le rythme se fait naturellement sous mes doigts, ma voix vient plus clairement accompagner les vibrations de l'instrument. J'ai du coffre et je n'hésite pas à le faire savoir. La chanson est interprétée sans fausse note, comme si elle s'écoulait telle une cascade hors de mes lèvres. La musique est un art que je partageais autrefois uniquement avec mes compagnons, lors de nos fameuses soirées lancées au hasard, je prenais ma guitare pour que tout le monde entonne mes textes en cœur. Ces musiques au fond, c'est un petit peu de chacun de nous.
Lorsque vient la fin du morceau, je soupire alors que les notes cessent de faire vibrer l'instrument. Je regarde mes mains sans rien dire. Je laisse le temps au silence de retomber. Gardant les paupières closes. Je retire finalement la demoiselle sur ma tête. Je suis morose, ah… J'adore chanter, mais en même temps… Cela me rend tellement aigri aussi… Ma tête s'emplie de souvenir et je n'ai qu'une envie, pouvoir remonter dans le temps. À quoi bon me souvenir du passé, si je ne peux pas retrouver ces moments de joie. Je me lève et je m'étire. Cherchant un moyen de retrouver ma bonne humeur.
" Bon voilà, je chante. Je sais que c'est pas le truc plus joyeux que tu aies entendu, mais bon. Je n'ai pas vraiment de chanson joyeuse dans mon répertoire. "
Gros changement d'ambiance. Bravo Ashton tu nous fous le cafard ! Champion. Tu devrais peut-être essayer d'écrire sur autre chose que le passé ? Je sais pas, raconte des trucs joyeux un peu. Si tu sais être un connard, tu dois bien savoir être joyeux non ?
La chanson, même si sa voix, c'est pas exactement ça:
Melyne souriait à pleine dents, montrant ses canines bien évidentes bien qu’il ne puisse pas les voir. Même s’il avait découvert une partie de ce qu’elle était et qui elle était, la rose ne le cachait pas. Après tout, quand on lui demandait son âge et qu’elle répondait honnêtement personne ne la croyait. Personne n’avait besoin de savoir si c’était vrai ou non de toute manière, tout simplement car personne ne vivait aussi longtemps qu’elle à sa connaissance. Vivre pendant des siècles, plongée dans une ligne ou l’on ne voit la fin que d’ici quelques temps… C’était devenu son mode de vie.
« Il n’y a plus de barde à cette époque ? Le temps passe si vite… Je me demande comment on les appelle, s’il y en a encore. » Disait-elle alors qu’elle regardait toujours au loin, évitant tout de même de répondre à sa question directement. « N’est-ce pas impoli de demander l’âge d’une dame ? Mon vocabulaire peut facilement varier en fonction de la situation. À tout moment je vais te sortir une insulte aussi vieille que le monde, et juste après un compliment que les gens d’aujourd’hui te diraient. »
Cependant, elle ne put s’empêcher de réfléchir à sa remarque. Hors de prix hein ? Était-ce un compliment indirect ? Une façon de dire qu’elle était précieuse ? Melyne le savait déjà ça, mais c’était peut-être son charme qui faisait effet. Ou alors il s’agissait d’une manière de dire qu’elle était vieille et que les vieux objets pouvaient être hors de prix… Cette pensée lui fit froncer des sourcils. Hors de question d’être traitée de vieille peau alors qu’elle était aussi jeune, et coincée dans son corps de vingt-six ans. Elle se rappelait encore du moment où elle avait compris que le temps s’était figé pour elle. Cinquante ans et pas une seule ride. Il a fallu qu’elle disparaisse, laissant son Ordel dans le mensonge et faisant passer sa disparition pour sa mort. Melyne avait eu pas mal de regret, assimilant son acte à celui de son père qui s’était barré sans laisser aucune trace.
Vient désormais le moment où il avait accédé à sa requête et où il s’était mis à chanter. La douce mélodie que produisait l’instrument était en parfait harmonie avec sa voix. C’était à la fois agréable et reposant. Pendant un instant elle avait fermé ses yeux, se laissant emporter par son timbre de voix. Elle lui rappelait l’ambiance de son quartier à l’époque. Lorsqu’elle était encore jeune, qu’elle se baladait avec son frère ou quand elle se battait avec lui pour savoir qui aura le meilleur cadeau à offrir à sa mère. Que de nostalgie. Un souffle de souvenirs venait emplir sa tête de bonheur. Pendant un instant, elle avait oublié sa rancœur envers lui pour ne pas avoir été là, ou trop absent pour s’occuper de leur mère malade. Sans s’en rendre compte, elle avait glissé la main dans les cheveux du rouquin, ses doigts jouant toujours avec une de ses mèches avant que celui-ci ne vienne éclater la bulle dans laquelle elle s’était enfermée. Il l’avait enlevé de sa tête, la faisant reculer de deux ou trois pas derrière lui.
« Ouais ouais… Très joli, mais moi je peux faire mieux ! J’ai déjà fait de l’opéra, mais je ne chanterai pas devant toi pour par que tu sois jaloux ou frustré. » Fit-elle en lui faisant un petit clin d’oeil avec un petit sourire narquois. La demoiselle avait réellement fait un petit chant d’opéra, mais ça avait fait fuir les oiseaux. Melyne ne comprenait pas pourquoi. « C’était un beau chant. J’ai pu entendre mieux, mais j’avoue que cette chanson est bien interprétée, Monsieur le barde. Tu as bien la chance à savoir jouer de cet instrument, moi je ne sais rien de tout ce qui touche à la musique et à ces machins. » Le jeune homme avait beau avoir changé de mood, Melyne ne restait pas moins souriante, bien que plus attendrissante.
Après cette performance improvisée, la dame en rose semblait nullement impressionnée. Je souris légèrement, c'est vrai qu'au cours de mes vies, je ne me suis pas vraiment amélioré. Il me faut à chaque fois du temps, apprivoiser mon nouveau timbre de voix, entraîner mes cordes vocales… Cela me prend des mois pour arriver à quelque chose de correct, des années pour reprendre une performance qui convient à mes lourdes exigences envers moi-même. Je me passais une main dans les cheveux, recalant ma chevelure en bataille, c'est un réel paradoxe. Mes cheveux partent dans tous les sens, pourtant, ils paraissent en même temps très ordonnés.
" Comment nomme-t-on les bardes aujourd'hui ? C'est une bonne question… Je me rends compte que je ne m'en suis pas enquis moi-même. Les mots du passé ont une belle sonorité. Je suis habitué au terme barde, vu que c'était celui que l'on utilisait pour désigner mes activités avant. Donc, tu peux t'en tenir à barde, nous n'avons pas besoin de revenir au présent. Je me suis déjà mieux entendu aussi si cela peut te rassurer. Il me faut juste encore du temps pour maîtriser cette foutue voix. Ma technique peut être aussi avancée que les années qui ont passé, si je n'entraîne pas ces cordes vocales, jamais, je ne pourrais atteindre le niveau que j'espère. "
Mes mots peuvent surement paraître illogiques. Revenir au présent, une douce ironie, je ne l'apprécie pas vraiment ce présent sans mes compagnons finalement. Comment pourrait-on avoir à s'habituer à quelque chose que l'on a depuis la naissance ? Tout simplement parce que je suis pas né depuis des années déjà. Enfin, ça, c'est des choses que je ne peux que garder pour moi.
" Je ne rougis pas du talent des autres. Au contraire, j'en suis curieux si je peux y apprendre des choses. M'enfin, je respecte ton choix de ne pas chanter, c'est dommage, je me serais fait un plaisir de t'accompagner à la guitare. "
Je ne peux nier son apparence envoûtante. Je n'en suis pas plus subjugué que cela. Beaucoup de femmes et d'hommes ont été à mes côtés. Des apparences intrigantes, époustouflantes... On voit tant de fleurs qui sortent de l'ordinaire que l'on en vient à trouver banal ce qui est extraordinaire pour d'autres. J'observe l'herbe grasse qui danse dans le vent, songeur. Ma voix s'élève alors une nouvelle fois, ma curiosité prenant le pas sur le silence.
" Cherches-tu quelque chose dans ce monde ? Est-ce que tu attends encore quelque chose de ces lieux ? "
Je ne saurai dire combien de temps, elle a parcouru ce monde, peut-être vingt ? Trente ans ? Je n'en sais trop rien, j'ai toujours été stupéfait par les traits des visages, ils survivent si bien au temps, je me demande si on doit remercier la magie pour ça. Je repose mes prunelles sur elle. Son regard est bleu, ce n'est pas le même bleu que celui qui teinte mes iris, non… Ses yeux, c'est comme le givre à la surface d'un lac, pourtant, il en dégage une chaleur légère. Son épaisse chevelure sur ses épaules contrastant parfaitement avec son teint et ses yeux pour mettre en valeur son visage aux traits doux. Son petit nez froncé de façon amusée régulièrement. Cela me rappelle les expressions amusées de Belette. Il faut toujours que je ramène ça aux Éternels, ceci dit, ce sont eux qui ont été là la majeure partie de mon existence, comment pourrais-je ne pas le faire.
Melyne l’avait regardé d’un air intrigué, essayant de comprendre la métaphore dans sa phrase. Revenir au présent… Était-ce une façon de parler de la nostalgie ? Ou de la mélancolie ? Et même la phrase d’après lui fit pencher la tête d’incompréhension. Encore un sens caché ? C’était bien étrange mais elle ne l’avait pas relevé. Parfois le mystère était fait pour faire durer le suspense. Mais ça lui donnait envie d’en apprendre bien plus sur ce curieux étranger. La petite ironie n’avait pas eu l’effet escompté. En général, n’importe qui aurait ronchonné dans sa barbe ou alors il aurait pu se moquer d'elle vu la confiance dont elle faisait preuve. Il aurait même pu la défier, et pourtant… Le roux lui avait avoué que la jalousie ne l’atteignait pas. Un être humain des plus intéressants ! Pour une fois qu’il n’était pas corrompu par ce genre de sentiments. Enfin, dans ce cas là en tout cas. Melyne ne le connaissait pas assez pour savoir si son attitude peut changer lorsque quelqu’un tourne un peu trop près d’un de ses biens.
« Hum… Disons que moi non plus je ne me suis pas chauffée la voix. La guitare n’est sûrement pas bien accordée. Et surtout que je ne suis pas euh… » Melyne marqua une petite pause pour parler tout bas, de sorte que ce soit à peine audible. « J’suis pas à l’aise devant les gens… »
S’il y avait bien quelque chose que la renarde refusait de faire, ou qu’elle n’assumait pas, c’était le chant. Face aux animaux, ce n’est pas la même chose qu’en face d’un être humain qui comprends les paroles. Rien n’allait lui faire changer d’avis là-dessus. C’était la seule chose qu’elle arrivait à esquiver à la perfection, en citant qu’elle chantait mal ou que n’importe qui pourrait être jaloux de son talent. Toutes les cartes sont permises.
« Tu te débrouilleras très bien sans ma voix qui peut dérailler parce que même moi je ne comprendrai pas le sens des phrases que je pourrais chanter. Mais en revanche ! Je peux siffler. » Elle avait légèrement gloussé, c’était une petite blague, boutade pour faire en sorte qu’elle ne passe pas pour une incapable non plus.
Le silence régnait entre ces deux petits personnages, laissant le bruit de la nature combler le vide qui commençait à s’installer. Melyne n’avait pas bougé de sa position, se perdant de nouveau dans ses pensées. Il fallait dire qu’en ce moment, la demoiselle arrivait facile à finir la tête dans les nuages. Elle ne pensait pas à quelque chose en particulier, elle profitait simplement de ce genre de moment. Calmes, apaisants. Ce ne sera jamais assez pour détendre et noyer ses pensées négatives dans une marrée de joie, mais pendant ce petit instant, elle arrivait à faire le vide dans son esprit. La renarde redressa ses yeux vers le barde, avant de briser le contact en se tournant vers une direction totalement inconnue, levant ses prunelles vers les cieux.
« Qu’est-ce que je cherche… Je ne sais pas. Je ne sais même plus pourquoi est-ce que je me suis mise à faire un voyage sans terminus. Pwah ! Je ne sais même plus à quel moment je me suis dit que c’était une bonne idée. Changer d’air, tout ça. C’est bien au début mais à force, la solitude finit toujours par me rattraper parce que mes compagnons de voyages ne me suivent pas jusqu’au bout. » Indirectement, elle leur avait reproché de ne pas pouvoir vivre plusieurs siècles. Ils auraient pu faire un effort sur ça quand même. Melyne s’assoit de nouveau sur l’herbe, soupirant comme une enfant qui n’a pas eu sa glace, glissant doucement en arrière, laissant son dos toucher la terre pour s’allonger confortablement. « Mais au moins, je sais que je peux compter sur moi-même. Pas de trahison, couteau dans le dos, et je ne suis pas en danger à chaque fois que je m’endors. J’ai mon propre petit carnet où je note tout ce que j’ai pu observer. Je pensais peut-être trouver quelque chose d’intéressant ici. Et j’ai trouvé un petit barde avec des ailes plus que belles, il faut le dire. »
Je l'observais, bien que ma face soit dénuée de sourire, mes yeux amusés prouvaient que j'écoutais attentivement la dame en rose. Je voulais lui rétorquer que ma guitare était bien accordée vu que je venais d'en jouer, mais je n'en fis mot. Je la laisse, dans ma bonté, se défiler, je ne suis pas devenu sourd aux signaux de gêne ou de malaise. D'autant que son chuchotement ne m'a pas échappé, du moins, pas son intégralité. Sa voix ayant soudainement baissé, il m'avait fallu un peu plus d'attention pour saisir les mots.
" Eh bien siffle ! Ah ha. Très bien, je ne te ferai pas chanter. "
Je n'ai aucun intérêt à mettre mon interlocutrice dans l'embarras, aussi, je reporte mon attention sur le paysage autour de nous alors que sa voix s'élève de nouveau. Je suis ce qu'elle dit, je reste attentif à ses mots, ses phrases. Lorsqu'elle parle de la solitude, mon visage s'assombrit. Je ne connais que trop bien ce sentiment, au fil de mes vies, j'ai moi aussi été abandonné, tout comme le point final de ma vie m'a fait abandonner mes liens d'une vie précédente. Arraché sans ménagement à quelques personnes qui n'espéraient, ni ne voulaient me voir revenir. Un fantôme ! Un menteur ! Un mort-vivant ! Telles étaient les réactions de ceux qui autrefois semblaient me vouer un amour inconditionnel.
" Tant de compagnons nous abandonnent, tant de personnes nous oublient ou nous signent comme n'existant plus... Je ne peux que te rejoindre sur ce point. La solitude est lourde, écrasante. Des fois, c'est mieux d'être seul que d'être abandonné, non ? "
J'avais prononcé cela sans réellement attendre de réponse. Compter sur soi-même, tenir un carnet dans lequel on écrit, gribouille des choses importantes... Nous étions similaires sur beaucoup de points, tellement que s'en devenait effrayant. Je soupire doucement. En ajoutant.
" Au final, nous commençons seuls, finissons seuls en ayant marché seuls. Des fois, une telle vie parais s'étirer jusqu'à ce qu'elle prenne fin. On en recommence une autre. On essaie de croire en l'humain pour se retrouver trahi ou blessé avant de réessayer, comme si nous n'avions pas compris que quoique l'on fasse on ne changera pas la nature de ces êtres. "
J'ai laissé vagabonder mon esprit sur cette phrase, c'était plus une tirade pour moi plutôt qu'une tirade en direction de cette demoiselle.
Fermant les yeux sous les arbres, laissant la nature chanter à sa place. Il n’y avait rien de plus agréable que le calme et c’était essentiellement pour cette raison qu’elle appréciait rester éloignée des humains. Melyne aimait les villes et l’animation que l’on pouvait y retrouver. Mais parfois, faire une pause de toute activité humaine ne lui faisait pas de mal. C’était souvent ainsi qu’elle agissait. Elle qui voyageait, entre deux villes, la rose s’arrangeait pour passer par la végétation, histoire de se ressourcer un peu. C’était ainsi que la renarde était tombée sur ce jeune homme aux ailes remarquables. Elle l’écoutait d’un air distrait, glissant ses mains derrière sa tête pour avoir un meilleur appui.
« M’ouais… » Fit-elle simplement, sans trop s’étaler dessus. Elle acquiesçait honnêtement sans pour autant laisser ses iris rencontrer la lumière du jour pour le moment. « Il faut croire que ça forge même l’esprit et le caractère. » Elle l’avait dit avec un brin d’ironie, même si c’était véridique.
Un vieux souvenir d’elle et des ses anciens camarades lui revint en tête. Le seul ait pu réellement marqué son esprit, était de voir son ami voyageur sur son lit de mort. Il était devenu très vieux au fur et à mesure, les conséquences de la vie. A aucun moment elle aurait cru qu’elle aurait pu vivre aussi longtemps en compagnie de quelqu’un. Ils formaient un trio pas commun. Entre une renarde qui ne vieillit pas et deux frères et sœurs aussi bizarres l’un que l’autre… On avait rarement le temps de s’ennuyer.
« Ou alors, on voit nos proches partir avant nous et on ne peut rien y faire parce qu’on reste coincé dans cette peau et qu’on a accepté notre sort, impuissants. » Elle le suivait dans sa mélancolie et ce petit air sombre qui s’était emporté dans l’air. « Mais bon, n’y a-t-il pas meilleur moyen d’apprécier notre existence en s’adaptant à celui-ci ? Perso, je sais pas trop. Je me pose encore la question après tant d’années. »
La demoiselle s’était redressée pour bondir et se tenir debout pour s’étirer un coup. Bon, ça devrait aller là, elle avait eu son petit moment de remise en question sur sa vie entière, maintenant il fallait se changer les idées. Mais comment ? Chanter était impensable, elle n’essaierait même pas. Petit bain dans le cours d’eau ? Possible mais elle n’avait pas ses affaires sous la main pour se changer après. Et pas sûre qu’elle se sente très à l’aise à l’idée d’être face à un torse potentiellement musclé. Une petite balade ? C’était faisable. Ou alors peut-être que lui avait une idée innovatrice pour tuer l’ennui ? Sans réfléchir, elle s’était glissée une nouvelle fois auprès de lui pour poser ses mains sur ses épaules afin de les masser doucement.
« Allez, allez. Déprime pas, ou je serai obligée de te faire un bisou magique pour faire fuir ce gros nuage noir qui tourne autour de ta tête. Enfin… Même si pour l’instant c’est plus moi qui te tourne autours. » Elle avait tenté une petite provocation comme pour essayer de reprendre la discussion au moment où ils étaient à la limite du fou rire, ou le faire réagir positivement Elle voyait déjà l’échec et pourtant, elle essaya. « Ou alors je te traine par les pieds et je te balance dans la flotte. Et crois-moi, je suis très musclée. »
Elle avait terminé sa phrase posant son coude sur une de ses épaules, pointant du pouce l’eau qui coulait dans le coin.
Je hausse les épaules en déposant ma guitare sur le côté. Je reviens de ma balade mentale sur les mots de la rose. Je retrouve mon sempiternel sourire, placardant les faux semblants là où tout le monde regarde, cachant ce que je pense, ces choses que l'on ne veut pas le voir. Forger l'esprit et le caractère. Encore un peu et je penserais que la dame à mes côtés est aussi mélancolique j'ai pu l'être quelques vies auparavant.
" Ah ha. Peut-être, après, c'est aussi une façon de se rendre compte que le temps passe j'imagine ! "
Je n'ai pas tellement envie de l'humeur guillerette que nous avions s'enfuit de notre conversation. Rester dans notre peau. Je me mets à rire en agitant mes grandes ailes. Prenant une voix volontairement enjôleuse. Appuyant le vouvoiement comme une parodie de bonne manière ou d'une vieille manière de s'adresser aux femmes. Déprimer, moi ? Je ricanais en observant la flotte qu'elle montrait du doigt.
" Navré ma dame, mais je n'ai pas toujours été aussi fabuleux pour ma part. Si vous avez été coincée dans votre corps, vous m'en voyez bien navré ! Peut-être avez-vous besoin de changement ? "
Je me suis levé en faisant une révérence qui dans le cadre et mes vêtements actuels étaient une parodie grossière de ce que j'ai pu avoir à dire ou faire, il y a quelque temps de cela. Je ne peux me retenir plus longtemps et j'éclate d'un rire franc en repliant mes ailes dans mon dos dans plus de cérémonie.
" Profite de ton existence, si les gens ne sont pas là pour se rappeler ce que tu as connu, toi au moins, tu es là. Et puis, comme les gens changent, tu peux faire des blagues qui marcheront toujours ! "
Je me levais en étirant grand mes ailes. J'observais les alentours avec un soudain désintérêt.
" Et si je t'invitais à boire un verre ? Sans arrière-pensée hein ! Juste picoler un peu. T'en penses quoi ? Il devrait y avoir un village à moins d'un jour de marche. "
Je ramasse mon instrument et mon sac, comme si elle avait déjà accepté ma proposition et l'observais presque comme un chien battu. J'avais envie de boire soudainement. J'aurais pu boire un peu d'alcool dans une de ces gourdes remplies d'une gnôle bien arrachée, mais mes réserves descendent, donc il faudra de toute façon que je refasse mes stocks.
Instinctivement, elle venait de croiser les bras avec un sourire joueur tout en plissant de nouveau les yeux. Ses petits talents d’acteurs l’amusait, et elle regardait avec une certaine malice. Elle aimait qu’on lui rétorque à ses provocations. C’était un signe comme quoi il ne se faisait pas marcher dessus et que ce petit jeu pouvait durer.
« Laisse ma peau douce et soyeuse. Mon corps me plaît beaucoup trop pour que je me décide à le quitter. Mais après tout, ce ne sont que des paroles ce que vous me faites là ! Vous n’auriez pas le courage de m’abattre ainsi. » Elle attendit un peu, étouffant un premier rire dans sa bouche, bien qu’il se soit glissé entre ses lèvres dans un bruit assez ridicule, avant de le lâcher entièrement juste après celui du rouquin. « J’admets que celle-là était bien bonne ! Bien tenté ! » Fit-elle avant de cacher ses lèvres avec sa main.
« Oarf tu sais… J’ai vécu bien plus longtemps que tu ne peux l’imaginer. Et encore ! J’ai de la marge avant que la mort de m’emporte ! Donc pour profiter de la vie… J’essaye de faire du mieux que je peux. » Elle expliqua tout en redressant son regard vers lui, avant de reprendre dans la même lancée. « Mais ouais ! Niveau blague, je pourrais te ressortir celle que l’on m’a faite il y a bien longtemps où je serai la seule à comprendre. »
Melyne le vit s’étirer, mais ses yeux ont dévié vers ses ailes. Encore une fois. Pour une raison qu’elle ignorait, elle les trouvait impressionnantes. Peut-être car elle n’avait jamais vu une paire d’ailes pareilles. Rares étaient les fois où les couleurs se démarquaient des autres volatiles que n’importe qui pouvait croiser dans la rue, route ou nature. Vient le moment où il lui proposait d’aller se prendre un petit verre quelque part. Enfin, il lui offrait le verre plus exactement. Un gentleman, et pourtant, il aura beau avoir précisé qu’il n’y avait pas de mauvaises intentions, Melyne vit plusieurs scénarios se dérouler dans sa petite tête et aucune ne lui plaisait, sauf celui où ils peuvent finir dans un état d’ivresse au plus au point, à rire main dans la main sur tout et n’importe quoi. Pourquoi pas prendre le risque. Elle n’était plus à ça près à force.
Alors qu’elle allait répondre, la demoiselle le vit prendre ses affaires et déguerpir le premier, lui lançant un de ces regards auxquels elle pouvait difficilement dire non. Mel’ s’était mordue la lèvre avant de hausser des épaules, abandonnant le combat d’avance.
« Hmm… Je ne sais pas trop mais tes arguments m’ont convaincu. Puisque tu insistes ! Allons boire un peu dans la taverne la plus proche. » Sur ses paroles, elle s’était étirée les muscles à son tour, prête à se dégourdir un peu les jambes. « Oh euuuh… Avant de partir, je reviens dans deux petites minutes. » Sans lui laissant le choix de répondre, elle s’était glissée entre les arbres pour revenir aller chercher sa petite sacoche qu’elle avait laissée à plusieurs mètres. La renarde voyageait léger mais avec l’essentiel. Ce n’était que quelques minutes plus tard qu’elle avait ressurgit des buissons, en espérant qu’il ne soit pas parti sans elle, quelques petites feuilles coincées dans sa chevelure et sacoche dans le dos, prête à lever le camp.
« Allons-y ! Monsieur le guide, je vous suis. » S’exclamait-elle avant de lever le bras en l’air, montrant son engouement. « Moins d’un jour de marche ? Pourquoi ne pas utiliser tes ailes ? Ça doit être moins long à vol d’oiseau et tu pourras te poser à quelques mètres du village ! Sauf si tu souhaites apprécier plus longuement ma compagnie, ce que je comprends parfaitement. » Fit-elle avec un petit rire taquin et provocateur alors qu’elle s’était mise à sa hauteur, le doublant même sans savoir où aller exactement.
Je restais pensif à ses mots, après tout, je sais mieux que quiconque à quel point vivre longtemps est un fardeau. Je ne vis certainement pas longtemps comme elle, mais le temps a passé depuis ma vraie naissance. Enfin, c'est des choses que je m'efforce de garder pour moi, cette humaine semble déjà bien assez mélancolique avec sa propre existence, j'en tiens pour preuve la même impression que la vie est morne émanant d'elle.
Lorsqu'elle accepte ma proposition, moi qui déjà suis debout, prêt à partir, me met à trépigner d'impatience, je tuerais pour un verre de sang de Malevomon. Un alcool au goût fort dans lequel le corps d'une de ces vipères florales vous observe avec ses yeux vides de vie. Plus belle est la fleur factice du reptile, plus l'effet en est grandiose.
Les bars ont rarement cet alcool en stock, il est tellement cher en même temps. Il ne peut pas être récolté par n'importe quel pécore du coin. Il faut tuer la vipère sans l'abîmer et le glisser dans le liquide rougeâtre qui devient plus trouble à mesure que le vin de serpent est aromatisé par son venin autrement mortel. Fort heureusement, l'éthanol dénature ce liquide de mort pour en faire quelque chose d'inoffensif. Infusé pendant de nombreux mois avec de la chair de Fritul et d'autres serpents, le sang de Malevomon est une boisson peu connue finalement, on en avait presque toujours une bouteille dans notre maison avec les Éternels.
On en buvait une ou deux petites tasses, pas plus. L'alcool est si fort que déjà après deux, nous étions plus très frais. C'est que cette boisson est plutôt violente. Elle ne pardonne pas, elle donne même tout son sens à finir ivre mort. Ceux qui ont trop forcé sur cette boisson ont fini par vomir leurs tripes si fort qu'ils se sont endormis et étouffés dans le contenu de leur estomac. Une mort un peu nulle si vous voulez mon avis. Malheureusement, à cause de ces accidents et de la rareté de l'alcool, le prix d'une de ces petites tasses dans lesquelles il est servi sont bien onéreuses. Je sais bien que je ne pourrais m'en payer un verre.
" Il y a un alcool que tu aimes bien ? "
Je laisse la question s'échapper de mes lèvres alors que la dame en rose me rejoint après avoir récupéré une petite sacoche. Si elle a vécu aussi longtemps qu'elle le dit, elle a surement déjà été ivre une fois. Moi, je me saoulais après les combats, quand j'en revenais vif, pleurant la mort de ceux qui reviendront d'ici peu… Néanmoins, la douleur reste là, même si on sait qu'ils vont revenir… Nous étions tout de même emplis de peur, encore plus lorsque Paon fut coupé de la magie. Je secouais la tête pour chasser ces pensées négatives en me mettant en route, prenant garde à bien replier mes ailes dans mon dos. Nous avons un peu de marche à faire, ça tombe bien, j'aime bien marcher.
Le silence pourrait être pensant pour beaucoup, pourtant, perdu dans mes pensées, je m'y sens bien. Je jette un coup d'œil à la rose dont je me rends compte que je ne connais pas le nom. Je hausse les épaules, qui aurait besoin de savoir quel couinement faire pour appeler quelqu'un alors que l'on va… PICOLER ! C'est trop cool. Bon c'est sûr qu'elle doit s'imaginer des trucs, moi, j'ai juste hâte de me rincer la gorge avec une liqueur.
Ils se mettent ainsi en route vers la taverne la plus proche, bien qu’en réalité elle n’est pas si proche que ça au vu du temps que le trajet pouvait prendre. Mais c’était un détail qui l’importait peu. Une vague nostalgique arracha un petit sourire à la rose. Ô combien de temps n’avait-elle pas voyagé avec un compagnon, ne serait-ce que pour moins d’un jour. C’était il y a plus d’une soixantaine d’années environ. Depuis, la renarde ne s’était pas intéressée à en avoir d’autres. Les seuls qu’elle a pu avoir, ils l’ont accompagnée pendant des années jusqu’à leur dernier souffle. Et c’était après leur mort qu’elle ne souhaitait plus s’attacher à quiconque qui souhaiterait parcourir un long bout de chemin avec elle vers une destination qui leur étaient inconnu pour l’instant. Pourtant, la présence du roux lui accordait une certaine chaleur qui lui faisait du bien. Elle comblait sa solitude.
Melyne avait légèrement fait pivoter sa tête vers le rouquin à l’entente de sa question. Oooh… Il y en avait tellement, la demoiselle ne saurait même pas par laquelle commencer.
« Hmm… Tu sais, sur ça je ne suis pas vraiment quelqu’un de difficile. Tant que ça me permet de passer un bon moment, je suis capable de tout boire. MAIS… » Elle marqua une courte pause pour tendre son doigt en l’air, comme si elle était sur le point de dire quelque chose de cruciale. « J’ai une bonne préférence pour les alcools les plus étranges. Ceux qui sortent de l’ordinaire tu vois ? Mais dans ce qui est de plus ‘banal’, j’apprécie énormément les liqueurs de fruits, ou la liqueur de rose. Qu’est-ce que c’est doux et fort à la fois ! Les vins sont moyennement ma tasse de thé, mais ça passe quand même. Cela dit… J’ai hâte de voir ce que tu me proposeras, puisque tu m’invites hehe… » Disait-elle avant de lui lancer un petit sourire espiègle.
Pendant cette marche, Melyne souriait bêtement. Elle ne savait pas vraiment pourquoi elle était heureuse, mais elle s’en réjouissait. Cela lui sortait de ses moments tristes où elle s’infligeait des souvenirs qui avaient le don de lui faire perdre toute envie de continuer son périple. Pendant qu’ils marchaient, la demoiselle le fixait pendant un long moment en silence. Elle détaillait de nouveau les traits de son visage d’un air curieux. Et pendant ce moment d’inattention, son pied avait croisé une racine qui dépassait, la faisant trébucher et lui faire rencontrer le sol dans une grâce inexistante. C’était un peu humiliant, il fallait se l’avouer. La prochaine fois, elle regardera où elle mettra les pieds et n’agira pas comme si elle n’avait pas vu d’hommes depuis des années.
Et pourtant… Elle s’était rapidement relevée et avait agi comme s’il ne s’était rien passé. Il fallait l’avouer, elle s’était faite mal autant physiquement que pour son égo, ayant même une ou deux petites écorchures au niveau de ses mains. Melyne n’avait clairement pas assumé sa chute et pour preuve, elle s’était arrangée pour qu’il ne relève pas ce détail en lui posant une question avant même qu’il n’ouvre la bouche.
« Dis-moi… C’est bien beau de m’inviter à la buvette mais on ne se connait même pas. Qui es-tu petit oiseau ? » Sans s’en rendre compte, elle avait accentué sur l’adjectif, alors que lui-même la dépassait de quelques bons centimètres. Il faisait clairement une tête de plus qu’elle. « Si tu ne souhaites pas m’en dire plus, je t’appellerai Jean-Bernard jusqu’à la fin de tes jours. »
La réponse de la dame en rose m'interpelle. Les alcools étranges ? Il y aurait une chance qu'elle soit elle aussi une adepte de vin de serpent ? Si celui au Malevomon est rare, le vin de cobra est lui bien plus répandu. Je ne dis cependant rien, il y a plein d'alcools farfelus, la demoiselle pourrait très bien tout de même ignorer l'existence de cet alcool à base de venin.
Que pourrais-je proposé à une damoiselle comme elle ? Si je la connaissais ne serait-ce qu’un peu mieux, je pourrais surement lui offrir un alcool qu’elle apprécierait à coup sûr… Lorsqu’elle cite les liqueurs de fruits, j'ai un petit sourire en coin en pensant à la liqueur de Fritul, acidulée, mais le sucre camoufle bien le goût de l’alcool. Nous faisant bien vie tourner la tête si l’on a le malheur de se lever après être resté sans bouger un moment…
Après avoir fait murir ma réponse dans ma tête, la demoiselle qui se tenait à mes côtés, dont le regard pesait sur mon visage depuis un moment déjà, tombe. Je me stoppe net et manque d’éclater de rire. Sans même avoir le temps de lui tendre la main, elle était de retour sur ses pieds. Je laisse sa question se perdre dans le vent, prenant le temps de répondre à sa première tirade, on pourrait croire que j’esquivais la question de façon délibérée. Surtout après la menace d’être appelé Jean-Bernard ! Je réprimais un rire.
" J’ose espérer que tu apprécieras ce que je te proposerais dans ce cas ! Je suis adepte de choses fortes et exotiques… Je ne parle pas que de fruits quand je parle d’exotisme ceci dit. "
Je ne dis pas cela pour lui faire peut, plutôt sur un ton énigmatique. Je lui adresse un regard, en ajustant la posture de mes ailes encombrantes.
" Tu veux donc savoir à quel son je me reconnais ? Ah les noms, c’est bien un truc compliqué ça aussi. Dans cette vie, on m’appelle Ashton, mais autrefois, on m’appelait Renard, à toi de voir ce que tu préfères prononcer. Devrais-je trouver moi aussi un bruit à faire pour te connaître ? Je peux utiliser Rosette si tu veux. C’est pas mal non ? Hein comment ça, ça se mange ? "
Je ricanais légèrement, fier de ma bêtise, on a un peu de marche à faire, mais nous nous rapprochons déjà de notre destination. Je me permets même de fredonner, j’en ai presque envie de sortir ma guitare. Le son des pas, la bonne humeur et les sons de la nature, rien de plus inspirant pour moi.
Accueil 
